Rencontre au pays du Cantal Salers AOP

Destination … Loubejac.

C’est quoi vraiment la vie d’une famille d’agriculteurs aujourd’hui ? Qu’est-ce que ça implique aujourd’hui de fabriquer du fromage ? Est-ce que tout ce que l’on consomme provient forcément de grandes usines ou existe t’il des alternatives ?

Samedi matin, 6h20, je suis déjà levé depuis une demi-heure et je roule sur les petites routes du cantal en me posant toutes ces questions.

Le jour aussi est déjà levé, mais il fait froid et gris. C’est le genre de météo que tu apprécies particulièrement quand tu peux rester te prélasser sous la couette.

Mais ce matin là, je n’ai pas le temps de flâner. Je me gare sur le bord de la route dans le lieu-dit de Loubejac en bordure du grand corps de ferme et j’enfile mes bottes en caoutchouc. C’est un des instruments de travail principaux, m’a dit Félix en riant lors de notre première rencontre.

vue générale de l'étable pendant la traite des vaches.

Ce matin, j’ai donc rendez-vous avec Félix Troupel, Agriculteur et producteur de Cantal Salers AOP.

Lui, il s’est levé depuis bien plus longtemps que moi, et pour lui, c’est le quotidien.

Le retour à la terre.

La ferme des Troupel est dans la famille depuis 1924 – Presque 100 ans ! Elle est nichée à une altitude de 800 mètres, à la frontière entre le Cantal et l’Aveyron, entre les villages de Carlat et de Cros-de-Ronesque. Ce qui est surprenant, c’est que la ferme se trouve encore dans le secteur géographique autorisé pour produire du Cantal AOP Salers.

Une tranche de fromage cantal

Si aujourd’hui on y produit du Salers AOP, la production n’a pas été continue pendant 100 ans. Petit retour en arrière, en 2008 : C’est l’année où le père de Félix prend sa retraite. La ferme ne produit déjà plus de fromage depuis quelques années.

Quant à Félix, en 2008, il a suivi une autre voie, totalement éloignée de l’agriculture : il est à l’époque cheminot depuis 13 ans.

Rien à voir avec le Cantal !

Seulement, à la retraite de son père,  il a dû faire un choix : Que faire de la ferme ? Que faire des bêtes ? Et que faire des prés et des terrains ? La vente de ceux-ci est tout à fait possible, les terrains manquent et ils feraient le bonheur d’un autre agriculteur. La mise en location est aussi une option techniquement envisageable.

Mais, contre toute attente, c’est une autre option qui a été prise. Le genre d’option qui n’est pas de tout repos et qui demande un courage et un engagement au quotidien.

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Félix fait alors le pari de reprendre la ferme de ses parents. En 2008, il se met donc en disponibilité de la SNCF pendant un an et reprend l’activité en cours à l’époque à la ferme, à savoir la production de viande bovine. (système allaitant si on veut être précis)

Cependant, quelques années plus tard, sur les conseils de son père, Félix va transformer l’activité de production de viande par la production de Cantal. Bien entendu, la transformation ne s’est pas faite en un claquement de doigt.
Il faut alors remettre aux normes la fromagerie, réapprendre les gestes pour fabriquer du fromage et changer le cheptel qui n’est pas du tout adapté. C’est vrai que vu de loin, produire des vaches pour la viande ou pour faire du fromage, c’est quasiment la même chose. Quand on regarde le détail, c’est un tout autre métier.

La transition de l’exploitation et la relance de la fromagerie s’achèvera en 2017. Malheureusement le père de Félix n’aura pas la chance de voir l’achèvement du projet car il décédera un an avant la fin.

Pourquoi alors avoir renoncé à sa carrière de cheminot, un métier qualifié parfois de job « avec la sécurité de l’emploi » pour reprendre une exploitation agricole ? Pourquoi risquer de reprendre une activité dite saisonnière et soumise aux aléas climatiques ? Pourquoi vouloir affronter des incertitudes de revenus inhérentes au monde agricole ?

En entendant son histoire, je ne peux pas m’empêcher de lui demander pourquoi ; Pourquoi en effet avoir choisi le chemin qui semblait le plus difficile ? Félix me répond alors que se résoudre à vendre n’était pas possible. De plus, les enfants étaient motivés pour garder la ferme. Ils y ont toujours participé et même s’il n’étaient pas encore en âge de le faire, ils se voyaient perpétuer la tradition des grands parents.

Le pari était osé. Risqué même. Était-ce la bonne décision ? Finalement, les enfants de Félix sont-ils vraiment restés à la ferme ou bien sont-ils partis travailler ailleurs ? C’est quand même tentant les horaires de bureau, les week-end peinard, les congés payés et les samedi matin pluvieux sous la couette.

Allez ! Retour dans le présent, les deux pieds sur terre (dans les bottes) car ce matin, je rencontre une famille d’agriculteurs producteurs de Cantal Salers AOP.

Plongée dans le quotidien d’une famille d’agriculteurs.

Félix m’a donné rendez-vous entre 6h et 7h à l’étable. Il est déjà levé depuis bien plus longtemps que ça, mais les heures, c’est précisément ce qu’il ne compte plus trop aujourd’hui. Bien avant que j’arrive, Théo, Laurine et Félix sont partis chercher les bêtes pour les ramener à l’étable. La traite du matin, c’est à 6h et c’est tous les matins ! Les vaches produisent même le week-end.

L'agriculteur vérifie le niveau de remplissage du récipient de récolte du lait.

De plus, la production de fromage Salers impose un cahier des charges strict : Le lait doit être transformé en fromage sur le lieu même de la récolte. Donc pas de transport en camion vers une coopérative.

Enfin, il ne peut pas être stocké au froid et réchauffé pour être employé plus tard : Donc deux fois par jour, les 50 vaches sont traites et le fromage doit être fabriqué dans la foulée.

Tous les jours, deux fois par jour, entre le 15 avril et le 15 novembre, ce sont les mêmes gestes qui sont répétés.

Tout commence donc par la récolte du lait à la ferme très tôt le matin. Ce que l’on imagine pas, c’est que la fabrication du fromage commence très discrètement dès le moment où le lait est récolté. En effet, pendant la traite, le lait est récupéré dans des barriques de bois appelées « Gerles ».

Le récipient de récupération de la traite du lait est presque plein.

Pour l’AOP Salers, on s’interdit d’utiliser un tank à lait en acier inox car la gerle a des propriétés cachées : le bois de châtaignier dont elle est conçue va ensemencer le lait avec les micro-organismes contenus dans les fibres du bois. Ces micro-organismes vont participer à donner au Salers ce goût si caractéristique.

D’autre part, le bois facilitera aussi le maintien en température du lait. Finalement, ce n’est pas pour rien que l’utilisation de la gerle est imposée dans le cahier des charges AOP Salers.

Il est tout juste 8h00 et pendant que Théo va s’occuper de ramener les bêtes à la pâture et préparer l’étable pour la future traite du soir, Félix et Laurine changent de tenue pour se retrouver dans la fromagerie.

Dès la fin de traite, le lait y est emmené sans tarder car il faut l’employer très rapidement. Une des clefs de la réussite de la fabrication, c’est sa température : Trop froid ou trop chaud, le lait ne caillera pas correctement et la qualité du fromage sera directement impactée.

La première étape dans la fromagerie est donc l’emprésurage du lait directement dans la gerle. La présure est ajoutée pour que le lait caille. En à peine moins d’une heure, le lait contenu dans la gerle prendra alors la consistance d’un yaourt géant.

Cependant, pendant cette heure de pause, Laurine et Félix n’auront pas de temps à perdre : Ils vont devoir s’occuper de la production des jours précédents.

Ils commencent donc par « faire de la place » en retirant les tomes qui sont finies de presser et qui vont prendre le chemin de la cave d’affinage. Les autres tomes qui ne sont pas encore suffisamment sèches sont retournées et remises sous presse. Il reste encore à s’occuper des morceaux de tomes qui n’ont pas encore été moulées : Ces morceaux sont pesés, broyés et salés et mis en maturation. Enfin, le précédent mélange de tome broyé et salé sera tassé dans un moule et mis sous presse. Il sera lui aussi retourné plusieurs fois et pressé à plus de 600 kg et deviendra dans quelques jours un fromage d’environ 50 kg qui prendra lui aussi la direction de la cave d’affinage.

On prend alors conscience que lait récolté aujourd’hui commence une lente transformation qui va durer plusieurs jours dans la fromagerie et qui continuera pendant plusieurs mois en cave d’affinage avant d’arriver sur un plateau de fromage.

Mais pour l’instant, c’est le moment de s’occuper du lait caillé. Au bout d’une petite heure, Laurine et Félix entament de séparer le caillé du petit-lait. A l’aide d’un tranche-caillé, ils vont mixer de haut en bas le caillé pour le « découper ». Les mouvements sont fluides, la chorégraphie est lente, le fromage mérite qu’on y accorde du temps. Le tranche-caillé va permettre de créer des « grains » de fromage qui seront rassemblés dans le fond de la gerle, tandis que le petit-lait en surface sera écopé.

Laurine et Félix transfèrent alors la tome fraîche qui reste au fond de gerle dans une presse afin d’en sortir tout le petit lait qui y est encore contenu.

La tome sera pressée, découpée en gros cubes, mélangée et pressée à nouveau pendant toute la matinée jusqu’à atteindre le bon taux d’humidité. Le petit-lait qui est très abondant en début de presse va se faire de plus en plus rare au fil du temps.

Quand les morceaux de tome issus de la traite du matin sortent de la presse, ils sont mis au repos à maturer. Ils seront alors employés dans quelques jours pour y être à leur tour pesés, broyés, salés et moulés. En attendant, la fromagerie est déjà remise en ordre pour accueillir la traite du soir qui arrivera dans à peine quelques heures.

Il n’y a pas de temps mort dans la fabrication du Salers. Juste un cycle qui commence mi-avril et qui finit mi-novembre.

Quel avenir ?

Quand on demande à Félix s’il regrette ses choix, il sourit. C’est vrai que le pari de reprendre la ferme était osé. Mais si c’était à refaire, il le referait. D’ailleurs, les enfants viennent de rejoindre le GAEC familial. Ce n’était pas « juste » un rêve d’ado éphémère vite oublié ; C’est devenu un vrai engagement.

Laurine, sa fille, vient de terminer ses études au lycée Agricole alors que Théo, son fils, a fini sa formation en Maison Familiale Rurale.

Leurs diplômes en poche, la tête sur les épaules, ils sont là, tous les jours avec les parents, Félix et Cécile pour perpétuer la tradition de la fabrication du fromage Salers AOP.

L’histoire ne s’arrête pas là. Elle ne fait que commencer d’ailleurs car ils ont des défis à relever, et notamment d’arriver à moderniser par touches successives l’exploitation tout en conservant la tradition de la fabrication du Salers AOP exceptionnel.

Quand on achète un morceau de fromage, on a pas la moindre idée de l’engagement des femmes et des hommes qui œuvrent en coulisse pour perpétuer les traditions. Un grand merci à Félix, Laurine et Théo de m’avoir fait partager, le temps d’un matin, un moment de leur vie faite d’engagement, de passion et de courage.

3 agriculteurs sur le seuil de leur étable.

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